HOMÉLIE 7

 

Prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Pierre Apôtre, le quatrième dimanche de l Avent.

 

Lecture du saint Évangile selon saint Jean  : (1,19-28)

En ce temps là, les Juifs de Jérusalem envoyèrent des prêtres et des lévites à Jean pour I 'interroger : «Qui es-tu ?» Il reconnut et ne nia pas. Il reconnut qua 'il n'était pas le Christ. Et ils I 'interrogèrent : «Qui donc es-tu ? Es-tu Elie ?» Il dit : «Je ne le suis pas.» «Es-tu le prophète ?» «Non» répondit-il. Ils lui dirent alors : «Qui es-tu donc pour que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dis tu de toi même ?» Il dit : «Je suis la voix qui crie dans le désert : Redressez la voie du Seigneur comme l'a dit le prophète Isaïe.» Ceux qui avaient été envoyés étaient pharisiens et ils I 'interrogèrent à nouveau : «Pourquoi donc baptises-tu si tu n'es ni le Christ, ni Elie, ni le prophète ?» Jean répondit : «Moi je baptise dans l'eau, mais au milieu de vous se trouve quelqu'un que vous ne connaissez pas. Il doit lui-même venir après moi, lui qui a été fait avant moi et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale.» Ceci se passait à Béthanie, de l'autre côté du Jourdain, là où Jean baptisait.

 

1. Les paroles de cette lecture, frères très chers, nous recommandent l'humilité de Jean. Il avait une si grande sainteté qu'on a pu le prendre pour le Christ. Mais il choisit avec fermeté de rester dans son rôle sans se laisser follement entraîner par l'opinion humaine au-dessus de ce qu'il était. «De fait il ne nia pas, il déclara : Je ne suis pas le Christ.» Ce disant il niait catégoriquement être ce qu'il n'était pas, mais il ne niait pas être ce qu'il était. En disant la vérité, il voulait devenir membre de celui dont il ne prenait pas faussement le nom. En refusant de prétendre au nom du Christ, il devenait membre du Christ; car s'appliquant à reconnaître humblement sa faiblesse, il mérita de devenir vraiment grand. Ce texte fait penser à une autre parole de notre Rédempteur. Les termes employés par lui posent une question qui est très liée à la précédente. Interrogé ailleurs par ses disciples sur la venue d'Elle, le Seigneur répondit : «Elie est déjà venu et n 'a pas été reconnu. On l'a traité comme on a voulu. Et si vous voulez le savoir, Elie c'est Jean lui-même.» (Mt 17,12). Mais Jean interrogé lui-même a dit : «Je ne suis pas Elie» alors comment expliquer que le prophète nie ce qu'affirme celui qui est la Vérité ? Il y a donc contradiction entre la parole «Elie c'est Jean» et la parole de Jean «Je ne suis pas Elie» comment donc Jean est-il le prophète de la Vérité, s'il contredit les paroles de celui qui est la Vérité ? Si l'on recherche avec finesse la vérité, on trouve comment ne sont pas contradictoires deux énoncés qui semblent l'être. À Zacharie en effet l'archange avait dit au sujet de Jean : «Lui-même précédera celui-là avec l'esprit et la puissance d'Elle.» (Luc 1,17). Et cela parce que, comme Elie devancera la seconde venue du Seigneur, Jean a précédé la première. Comme Elie est destiné à venir en précurseur du Juge, ainsi Jean a été établi précurseur du Rédempteur. Jean était donc Elie avec l'esprit d'Elle mais il n'était pas Elie en personne. Ce que le Seigneur avait dit en parlant de l'esprit, Jean le nie en parlant de sa personne. Il était juste en effet que le Seigneur donnât aux disciples une indication spirituelle au sujet de Jean et que Jean répondit aux foules charnelles non du point de vue spirituel mais du point de vue corporel. Ce que dit Jean parait être contraire à la vérité mais ne s'est pourtant pas écarté de la vérité.

 

2. Quand il nie même être le prophète, alors qu'il pouvait non seulement prêcher le Rédempteur mais aussi le montrer, il dit aussitôt ce qu'il est en ajoutant : «Je suis la voie de celui qui crie dans le désert.» Vous savez frères très chers, que le Fils unique est appelé Verbe du Père. L'apôtre Jean l'atteste lorsqu'il dit : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu.» (Jn 1,1). Par l'expérience de votre façon de parler, vous savez que la voix résonne d'abord pour que le verbe puisse être entendu ensuite. Jean affirme donc être la voix parce qu'il précède le Verbe. C'est pourquoi, arrivé avant le Seigneur, Jean est appelé voix parce que c'est par son ministère que le Verbe du Père est entendu par les hommes. Il crie dans le désert parce qu'il annonce la consolation du Rédempteur à la Judée abandonnée et délaissée. Ce qu'il crie, il le fait comprendre quand il ajoute : «Redressez le chemin du Seigneur comme l'a dit le Prophète Isaïe.» (Is 40,3). Le chemin du Seigneur vers le coeur est redressé lorsque la parole de vérité est entendue humblement. La route du Seigneur atteint le coeur lorsque la vie est affermie selon les commandements de Dieu. D'où ce mot de l'Écriture : "Si quelqu'un M'aime il gardera ma parole et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure.» (Jn 3,29). Tout homme qui dresse son esprit orgueilleusement, tout homme qui respire les ardeurs de l'avarice, tout homme qui se souille des tâches de la luxure, ferme à la vérité l'entrée de son coeur; il bloque les portes de son âme avec les verrous de ses vices, d'où pour le Seigneur l'impossibilité d'entrer.

 

3. Mais les envoyés interrogent Jean : «Si tu n'es ni Elie, ni le Christ, ni le prophète, pourquoi baptises-tu ?» Ils disent cela non pour connaître la vérité mais par malice et hostilité. L'évangéliste le donne à entendre discrètement en ajoutant : «Ceux qui avaient été envoyés étaient des pharisiens.» C'est comme s'il disait clairement : ceux qui interrogeaient Jean sur ses actes n'était pas en état de rechercher la vérité mais de la rejeter. Tout homme saint, même lorsqu'on l'interroge avec perversité ne se détourne pas de son parti pris de bonté. C'est pourquoi Jean répondit aux paroles malveillantes par des paroles de vie : Il ajouta aussitôt : «Moi, je baptise dans l'eau mais il y a au milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez pas.» Jean baptisait dans l'eau mais pas dans l'esprit, parce que, incapable de pardonner les péchés, il lavait avec l'eau les corps des baptisés sans purifier leurs âmes par la grâce. Pourquoi donc baptisait-il sans laver les péchés par son baptême ? C'est que, s'en tenant à son rôle de précurseur, Jean qui avait précédé dans la naissance celui qui allait naître, précédait aussi en baptisant le Seigneur qui allait baptiser; et celui qui fut le précurseur du Christ en prêchant, ne devint-il pas aussi son précurseur par un baptême qui était l'image du sacrement ? annonçant le mystère par ses paroles, il affirmait que le Christ se tenait au milieu des hommes sans être connu, et cela parce que le Seigneur, apparaissant sous forme humaine était bien visible dans son corps mais restait invisible dans sa Majesté. Au sujet de Jésus, Jean ajoute : «Il doit Lui-même venir après moi, Lui qui a été fait avant moi.» Il disait avant moi comme s'il disait placé avant moi. Il est venu après moi puisqu'il est né après moi, mais il existait avant moi parce que antérieur à moi. Traitant cette question un peu plus haut, il a expliqué les raisons de cette place du Christ précédant la sienne quand il a ajouté : «Parce qu'il existait avant moi». C'est comme s'il avait dit clairement : Il l'emporte sur moi bien que né après moi, la date de sa Naissance ne le diminue pas. De fait celui qui est né d'une mère dans le temps est engendré par le Père en dehors du temps. Jean manifeste quel humble respect il lui doit en ajoutant : «Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa sandale.» Les anciens avaient la coutume suivante : Si quelqu'un avait refusé d'épouser la jeune fille qui le recherchait, il dénouait la sandale de celui qui l'épousait par droit de parenté. Comment donc le Christ est-il apparu parmi les hommes, sinon comme l'époux de la sainte Église ? Saint Jean dit aussi de Lui : «Celui qui possède l'épouse est l'époux.» (Jn 3,29). Mais parce que les gens croyaient que Jean était le Christ - ce que Jean niait - il déclara avec justesse être indigne de dénouer la courroie de sa chaussure. Comme s'il disait clairement : Je ne peux pas faire connaître les pas de notre Rédempteur étant donné que je me refuse à usurper le nom d'époux. Il y a une autre façon de comprendre. Personne n'ignore en effet que les chaussures sont faites de cuir d'animaux morts. Or le Seigneur incarné a paru venir comme chaussé de cuir parce qu'Il a pris et mis sur sa Divinité les chairs mortes de notre corruption. De là aussi le mot du prophète : «J'étendrai ma sandale sur l'Idumée.» (ps 59,10). L'Idumée désigne l'humanité païenne, la sandale représente la condition humaine. Le Seigneur affirme donc qu'Il étend sa sandale sur l'Idumée parce que Se faisant connaître aux nations sous forme humaine, sa Divinité est venue à nous comme chaussée de cuir. L'oeil humain est incapable de pénétrer le mystère de cette Incarnation. Il est absolument impossible de découvrir comment le Verbe est uni à un corps, comment l'être spirituel le plus élevé qui est source de la vie, prend une âme dans le sein d'une mère et comment Celui qui est sans commencement est conçu et naît. Jean ne peut dénouer la courroie de la sandale de Jésus parce que lui-même est incapable de comprendre le mystère de l'incarnation alors qu'il l'a connu par esprit prophétique. Et ce propos, «Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa sandale» signifie seulement qu'il reconnaissait ouvertement et clairement son ignorance. C'est comme s'il disait en clair : Quoi d'étonnant si je ne peux pas comprendre le mystère de la Nativité de Celui qui a été placé au-dessus de moi et qui je le sais, est né après moi ? Voici que Jean rempli de l'esprit de prophétie brille d'une science admirable et d'un autre côté indique ce qu'il ignore.

 

4. À propos de tout cela frères très chers, nous devons réfléchir avec toute notre attention à ceci : pour rester humbles, les saints, bien qu'admirablement instruits en certains domaines, veillent à ne pas perdre de vue leur ignorance. Ainsi en considérant leur faiblesse, ils évitent que leur esprit se gonfle d'orgueil du côté où il a atteint la perfection. La science de Dieu est en effet une vertu et l'humilité est la gardienne des vertus. Il reste donc que touchant toutes ces connaissances, l'esprit doit se contrôler pour éviter que ce que la vertu de science a rassemblé ne soit pas dispersé par le vent de l'orgueil. Quand vos actions sont bonnes, mes frères, rappelez-vous toujours les mauvaises. Ainsi, l'âme qui a la sagesse de regarder ses fautes, n'a jamais l'imprudence de se complaire dans ses bonnes actions. Regardez vos proches comme meilleurs que vous surtout ceux qui ne vous ont pas été confiés; quand vous les voyez mal agir, vous ignorez quelles sont leurs bonnes actions cachées. Que chacun donc s'applique à être saint et pourtant qu'il ignore en quelque façon qu'il l'est, pour éviter de perdre sa sainteté en ayant l'audace de se l'attribuer. Il y a cette parole du prophète Isaïe : «Malheur à vous qui vous croyez sages et intelligents selon votre jugement.» (Is 5,21). Plus tard saint Paul a dit : «Ne vous prenez pas pour des sages.» (Rom 12,16). Il y a aussi ce rappel adressé à Saul : «Quand tu étais petit à tes yeux tu as été fait roi sur les tribus d'Israël.» (1 Roi 15,17). Autrement dit en clair : parce que tu te regardais comme petit Je t'ai fait grand de préférence aux autres. Mais parce que tu te regardes comme grand, Moi je t'estime petit. Au contraire David montra du mépris pour la puissance de sa royauté en dansant devant l'arche d'alliance du Seigneur et dit ceci : «Je jouerai et je paraîtrai plus petit que ce que j'ai été fait et je serai humble à mes yeux.» (2 Roi 6,22). Quel autre ne se serait pas vanté d'avoir brisé la mâchoire des lions et disloqué les pattes des ours, d'avoir été choisi parmi ses frères aînés méprisés et d'avoir été sacré pour gouverner le royaume dont le roi était rejeté, d'avoir abattu d'une seule pierre un Goliath redouté de tous, d'avoir reçu la royauté de la promesse et d'avoir dominé sans aucune contestation ultérieure tout le peuple d'Israël ? Et cependant David se méprise parmi tous les autres en se reconnaissant petit à ses propres yeux. Si donc les saints, même quand ils ont fait des actions courageuses éprouvent des sentiments très humbles, que diront, pour leur excuse, les gens qui se gonflent d'orgueil sans avoir à présenter un seul acte de vertu ? Car même s'il y a autant qu'on voudra d'oeuvres bonnes, elles sont sans valeur si elles ne sont pas assaisonnées d'humilité, car une action admirable faite avec orgueil n'élève pas, elle abaisse. Celui qui réunit des vertus où manque l'humilité, jette de la poussière au vent. Et si une de ses bonnes actions est vue par d'autres personnes, cette action lui monte à la tête. Donc, en tout ce que vous faites, mes frères, maintenez ferme l'humilité : elle est la base de toute oeuvre bonne. Ne regardez pas ceux à qui vous êtes maintenant supérieurs, mais ceux à qui vous êtes encore inférieurs et en vous proposant les meilleurs comme exemple, vous pourrez par l'humilité monter toujours plus haut.